Aux portes de l’Outback

Sept mois. C’est le temps passé en compagnie d’Edgar, producteur de bétail en Australie, plus précisément, dans le Nord-Ouest Queensland. Avec seulement 16 jours de pluie en 2013, les agriculteurs s’emploient à sortir la tête de l’eau, mais à quel prix ?

 Écrit en octobre 2014, Laurent Thézé.


 

Bienvenue à Mount Norman

Emparez vous d’une carte et pointez du doigt Townsville située au nord de la côte est australienne. Oubliez l’idée de la Grande Barrière de Corail pour l’instant, quittez l’océan Pacifique, barre ouest toute le long de la Flinders Highway jusqu’à tomber sur Richmond ; si c’est indiqué sur votre carte, bien sûr. Fini les rêves de plongée ou de saut en parachute, par ici on fait dans l’extraction de minerais et l’une des activités touristiques, est la recherche de fossiles de dinosaures ! Imaginez une chaleur écrasante, de vastes étendues dont la végétation dorée peine à se frayer un chemin entre le sable et la roche ; une bourgade de 500 âmes quasi déserte traversée par la route principale d’où l’on voit toujours ces vastes plaines enveloppant le village. En quittant Richmond et son fossile de Kronosaurus, il faut abandonner l’asphalte et opter pour les pistes de terre ocre jusqu’à rencontrer quelques arbres, et puis finir par conduire dans une forêt à la végétation éparse, où le roi silence, est parfois fendu par les rires des cacatoès, des perroquets à crêtes.

Mount Norman est un mont rocheux d’à peine 300 mètres de haut dominant les alentours. Depuis son sommet, on peut admirer l’horizon et ainsi voir ô combien la région est boisée et verte malgré l’aridité ambiante, et surtout à quel point le paysage est sans relief. Plus que jamais, l’horizon semble former une frontière avec un paysage différent et invisible à notre regard, alors que le même décor s’établit sur des milliers de kilomètres vers l’ouest notamment. Parmi tous ces arbres, il est impossible d’apercevoir la moindre maison, exceptée celle de Steeve qui vit en contrebas, à Middle Park. Mount Norman, c’est aussi le nom de la propriété voisine appartenant à Edgar Burnett, située à un peu moins de vingt kilomètres du mont et de son premier voisin. Si vous êtes arrivés jusqu’ici, ce n’est pas un hasard, ou alors vous êtes perdus, et pour votre survie il vaut mieux que vous soyez équipés de balises GPS, et surtout, d’eau. Si ce n’est pas le cas, il faudra s’en remettre à votre bonne étoile en trouvant une de ces maisons isolées où leurs habitants vous viendront en aide, tout en vous sermonnant sur votre imprudence. Avec quelques indications, vous serez ensuite capable de retourner à Richmond, situé à 120 kms, seulement.

Mount Norman Station Vue de la partie sud-ouest de la propriété depuis l’hélicoptère de Lens, intervenant pour quelques jours lors du rassemblement des bêtes. Au dessus des habitations, on peut apercevoir le filet de sable blanc qu’est la Woolgar River.

Mount Norman Station
Vue de la partie sud-ouest de la propriété depuis l’hélicoptère de Lens, intervenant pour quelques jours lors du rassemblement des bêtes. Au dessus des habitations, on peut apercevoir le filet de sable blanc qu’est la Woolgar River.

Monsieur Burnett, dit Edgar, est le propriétaires depuis 2005 des quelques 54 000 hectares de surface formant Mount Norman. Seul, Edgar ne l’est jamais vraiment en considérant ses 3 500 vaches, veaux et boeufs en semi liberté. De plus, il embauche régulièrement des jeunes voyageurs étrangers, surnommés Backpackers1. C’est ainsi devenu sa seconde spécialité : accueillir et former ces touristes d’un nouveau genre, à la recherche d’un travail saisonnier et d’expériences pour le moins uniques. Notre fermier emploie bien souvent deux à trois jeunes novices en même temps, et il arrive qu’une autre personne travaille dans la seconde ferme appartenant à la famille Burnett, près de Julia Creek (148 km de Richmond). Cette exploitation appartenant à Burnett Holdings depuis l’année 2000 loge environ 4 500 têtes de bétail ainsi qu’Andrea, la femme d’Edgar, et son fils Adam qui veillent sur son bon fonctionnement. Lors des périodes de muster2, cinq à sept personnes sont parfois présentes à Mount Norman qui connaît son pic d’activité. À titre de comparaison, Paris et ses 2,3 millions d’habitants représentent environ un cinquième de la surface de Mount Norman. Oui, c’est grand, désertique, bienvenue dans le coeur de l’Australie.

Les deux saisons

Tout comme en France, le système des quatre saisons est aussi utilisé en Australie, à la seule différence qu’étant dans l’hémisphère sud, les saisons sont inversées : l’hiver européen correspondant à la période estivale aux antipodes. Cependant, dans la partie nord tropicale du pays, les locaux font surtout référence à deux périodes différentes : la saison humide et la saison sèche. La saison humide commence en été, au mois de décembre, et se prolonge jusqu’en avril environ. Pendant ce laps de temps il fait très chaud et l’air est chargé d’humidité, le tout accompagné d’importants orages et précipitations entraînant des inondations. Certains axes deviennent inaccessibles, comme cela est déjà arrivé ici par le passé. Après la chute de pluies diluviennes, un hélicoptère est venu livrer des vivres à Edgar coincé pendant plusieurs semaines. En raison des routes inondées, l’accès en ville était impossible.

Quant à la saison sèche, elle occupe le reste du temps, de mai à novembre. Outre d’être la période touristique synonyme d’hyper activité sur la côte, c’est aussi la période difficile pour les agriculteurs surtout depuis 2012. En effet, selon Edgar, le climat actuel, est anormalement sec, et la situation unique, comme nous l’a également confirmé Terry, chauffeur livreur dans le bush, ne se rappelant pas d’une telle sécheresse3 de son vivant. Les précipitations n’ont pas été suffisamment importantes lors de la précédente saison humide, et la végétation en pâtit donc. La consultation des relevés météorologiques confirme cette tendance. Le report sur le climat de l’année 20134, rédigé par le Bureau gouvernemental de météorologie, indique en effet que depuis la fin 2012 et un été 2012-2013 aux températures records, les précipitations ont été bien en dessous des moyennes annuelles.

Relevés des précipitations

Relevés des précipitations

Les déficiences de pluies de 2013 figurent dans les 10% les plus bas depuis 1900. Le bureau de poste de Richmond s’affaire aussi à relever les données météorologiques, tout comme Burleigh Station, une ferme de bétail située à mi-chemin entre Mount Norman et Richmond.

D’après une carte publiée dans le rapport national du climat, nous savons que Mount Norman figure dans les zones ayant connu un total de précipitations situé entre 200 et 400 mm pour l’année 2013. Les données personnelles d’Edgar estiment le total de précipitations à 312 mm pour la même année représentant seulement 45% des précipitations totales de 2012.

Concernant 2014, les précipitations mensuelles cumulées sont évaluées à 215,5 mm au 31 Octobre ; soit une diminution de 63% des précipitations enregistrées en 2012 à la même période. Enfin, pour finir sur une bonne note, cela reste tout de même 24 mm de plus que l’année précédente, puisque forcément comme c’est affiché dans la salle à manger : “It always rains at the end of a dry time5.

Des temps difficiles …

En raison de la chaleur, le bétail n’est pas au meilleur de sa forme et est sous-alimenté suite au manque d’eau.. En effet, la pluie joue un rôle important pour l’irrigation de la végétation, principalement l’herbe qui constitue le fer de lance de l’alimentation bovine. Sans eau, celle-ci tarde à repousser et ce sont ainsi des centaines d’hectares de nourriture manquants. Les producteurs qui se retrouvent en pénurie de pâturages, peuvent déplacer leurs troupeaux ou une partie dans d’autres exploitations en l’échange d’un loyer. Pourtant, cette solution ne peut-être que temporaire.En effet, cela représente un coût important à un moment où les rentrées d’argent sont moindres6.

L’absence de pluie pose également problème pour l’alimentation en eau des différents réservoirs ouverts tels que les digues et les étangs qui approvisionnent les abreuvoirs. Malgré cela ceux-ci ne s’avèrent pas être idéaux suite à l’importante évaporation ; actuellement à Mount Norman, six étangs sont à sec.

Cependant dans les alentours, les sous sols sont abondants en eau et les producteurs de la région peuvent ainsi subvenir a leur besoin en eau. Pour cela, il est nécessaire de poursuivre le développement de la ferme. Ainsi, Edgar crée de nouveaux points d’eau en installant des réservoirs et des abreuvoirs afin que les bêtes n’aient qu’un maximum de cinq kilomètres à parcourir avant de se désaltérer. Celle-ci est ponctionnée des sols souterrains entre 40 et 80 mètres de profondeur à différentes puits. Un total de huit pompes à eau électriques ou solaires7, emplissent des réservoirs d’eau dont la capacité maximum est de 90 000 Litres. Ces mêmes réservoirs, ensuite, alimentent les abreuvoirs situés à quelques kilomètres à la ronde. En disposant de dix réservoirs couverts alimentés par des pompes à eau, Mount Norman répond ainsi largement aux 175 000 litres d’eau quotidiens qui sont nécessaires pour les 3 500 animaux du troupeau. Néanmoins toutes ces dépenses primordiales aussi bien pour la survie des bêtes, que pour le développement économique des fermes représentent un coût financier élevé, qui continue d’endetter les agriculteurs ; de part l’achat du matériel, que l’emploi de saisonniers pour aider à l’installation.

 

L’avenir nous l’apprendra

Toutefois, l’exploitation des eaux souterraines pour parer à l’insuffisance de pluie pourrait soulever d’autres préoccupations dans le futur. En effet, lorsque l’on demande si cette solution est durable, Edgar comme les autres habitants locaux, est assuré sans l’ombre d’un doute, qu’il disposera d’autant d’eau que nécessaire. Les mêmes techniques sont également utilisées dans les fermes environnantes, tandis que plus au nord de l’État, le gouvernement, en 2013, a accordé six permis d’irrigation dits durables, de la Flinders River ainsi que de la Gilbert River8. Hors l’eau est une ressource naturelle rare et épuisable comme l’ont pourtant appris les australiens par le passé en surexploitant le Murray Darling Basin principalement9. Le défi écologique australien ne semble certainement pas sur la pente ascendante, d’autant moins au vu des récentes actions du gouvernement pour l’avenir de la Grande Barrière de corail, en proie au développement industriel du secteur minier. Il est désormais temps d’aller faire votre initiation plongée, avant qu’il ne soit trop tard.

NOTES

1. Le Permis Vacances Travail (PVT). Un accord entre la France et l’Australie offre l’opportunité aux jeunes âgés de 18 à 30 ans de bénéficier d’un visa d’un an, renouvelable une seconde année sous certaines conditions, afin de séjourner sur le territoire tout en ayant l’occasion de travailler. Ainsi 25 734 français bénéficiaient de ce visa aux antipodes en juin 2014. Cet accord concernant le Working Holiday Visa 417 (PVT) en Australie est aussi valable avec d’autres pays que la France. L’immigration australienne a ainsi accordé 229 378 visas entre juillet 2013 et juin 2014.

2. Le muster consiste à rassembler les bêtes afin de marquer celles en âge et séparer celles qui seront vendues.

3. Lors d’une déficience des précipitations, la mauvaise période est surnommé “drought”.

4. Australian Government, Bureau of Meteorology. Annual Report Climate, 2013.

5. “Il pleut toujours à la fin d’une saison sèche”.

6. Dans le pire des cas, ces producteurs malheureux sont contraints de vendre leur bétail, ce qui a pour effet de faire chuter les prix du marché qui croule sous l’offre.

7. Les pompes électriques sont connectées à des générateurs à pétrole qui produisent l’énergie nécessaire ; Mount Norman n’est ni relié à l’eau courante, ni à l’électricité. Depuis quelques mois, les premières pompes solaires ont été installées, portant leur nombre à trois seulement.

8. Les écologistes avaient fait savoir dans la presse qu’ils n’étaient pas favorables au projet estimant que les précipitations étaient trop aléatoires et irrégulières afin d’être utilisées pour l’irrigation, menaçant ainsi l’écosystème.

9. Le bassin est le plus important système de rivières en Australie. Les vingts rivières qui le composent sont abondamment ponctionnées afin de subvenir aux besoins agricoles, économiques, ainsi que domestiques. À partir de 2008, la région humide tarissait menaçant ainsi l’ensemble de l’écosystème du bassin. Les politiques, à défaut de trouver une solution, ont été relayés par la bonne étoile australienne. En 2011, d’importantes inondations, dans les quatre États concernés, ont régénéré les différents courts d’eau.

 

 

7 réflexions sur “Aux portes de l’Outback

  1. génial, super contente de lire ta prose. pourquoi pas créer une histoire dans cette atmosphère. A quand la prochaine lecture ? Félicitation et gros bisous.
    Martine.

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    • Merci beaucoup Martine ! 🙂
      Oui, ça m’avait effleurer l’esprit … comme beaucoup de choses. Vous avez déjà tout lu ?! Je viens de poster quelque chose dans une rubrique différente. Le prochain de cette rubrique, j’ai déjà le sujet depuis un moment, il faut juste que je me trouve le bon moment pour écrire, ma recherche d’informations étant quasi finie. Ça parlera éducation !

      Merci encore,

      Lolo 🙂

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  2. Super ton article sur le mount Norman. J’avais entendu parlé de cette cattle station qui l’intéresse énormément. Aurais tu des informations pour que je puisse rentrer en contacte avec le fermier afin que je puisse travailler la bas 🙂
    Étant actuellement Backpackers et à la recherche d’une ferme 🙂

    Bien à toi

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