Un enfer Pacifique

Catégorisée comme dangereuse, l’île paradisiaque et ses tribus indigènes imaginées par les occidentaux sont désormais annihilées par les violences conjugales, guerres de gang et problèmes de sécurité rabâchés dans la presse. Tour d’horizon après sept semaines à la découverte du pays.

Écrit en décembre 2015, Laurent Thézé.

Les origines

Une mer cristalline, des coraux et une faune en abondance, des bancs de sable blanc, des cocotiers en bordure de plage, des huttes construites de palmiers, les chants de nombreux oiseaux dans la jungle en arrière plan, des hommes fumant du tabac machettes à la main, des enfants savourant de juteuses mangues tandis que les mères cuisinent les poissons fraîchement pêchés, et le temps passe, lentement. Oui, vous êtes bien en Océanie, plus précisément en Mélanésie. Bienvenue en Papouasie Nouvelle Guinée où l’on parle plus de 800 langues différentes, et le Tok Pisin, de l’anglais déformé.

Située dans la région Pacifique, à une heure de vol de la côte nord-est australienne, l’Île de Nouvelle Guinée fût découverte par les explorateurs occidentaux en 1526 ; bien que l’Homme se soit installé pour la première fois depuis près de 60 000 ans av. J.C.
D’abord découverte par les portugais, les anglais, prirent possession de la côte sud, la Papouasie, tandis que les allemands affirmèrent leur position dans le nord-est
de l’île1, la Nouvelle Guinée, de 1884 à 1914. Le gouvernement australien administra ensuite les deux régions, puis les combina en une seule et même entité : le Territoire de Papouasie Nouvelle Guinée, qui obtint finalement son indépendance en 1975.

Port Moresby, porte d’entrée obligatoire

Le Parlement ainsi que l’administration font partis de l’héritage australien. Cependant, en matière de développement, la tutelle australienne a failli, léguant de médiocres infrastructures. En effet, aucune route ne relie le nord et le sud du pays, Port Moresby, la peu reluisante capitale, n’est accessible que par avion, tout comme Milne Bay, la région la plus touristique, dans la péninsule sud-est du pays.

Comme le mentionne ainsi Jean-Pierre Clerc dans un article de 19952, le jeune gouvernement autonome n’a pas mis en place de politique de développement, toujours tant attendu par la population dont 36% est analphabète3.
À tel point que certains locaux aujourd’hui pensent que le pays fait marche arrière, comme nous l’a notamment confié un habitant de Port Moresby. D’après lui, la faute au gouvernement qui ne redistribue pas les richesses profitant seulement à une minorité.

En effet, l’exploitation des resources naturelles, or, cuivre, minéraux, ainsi que le pétrole et le gaz, constituent la majeure partie des exportations du pays. Ainsi, le PIB de la Papouasie Nouvelle Guinée a été multiplié par six en onze ans, et affichait une croissance de  12,5% en 2014 4.
Le géant américain Exxon Mobil5 gère le plus gros projet national : PNG LNG (Papua New Guinea Liquefied Natural Gas). Estimé à 19 milliards de dollars, ce sont six cents millions six cents mille tonnes de gaz liquéfié qui devraient être produits puis exportés vers la Chine, le Japon et l’Asie du Sud-Est
6.
Avant de le quitter, il nous invita à regarder autour : des personnes aux dents pâteuses mâchant des noix d’arec, puis crachant des jets de salive rouge sur l’asphalte, des déchets qui jonchent le sol, des vendeurs à la sauvette, des bidonvilles, des propriétés protégées par de grands murs de tôles et de barbelés, tandis que les plus aisés résident dans de luxueux complexes immobiliers hors de prix face à la mer, s’aventurant à l’extérieur sous escorte lorsque les gardes laissent sortir le véhicule.

La vie s’arrête en fin d’après-midi à Port Moresby, les nombreux vendeurs au détail et les personnes assises en groupe laissent place à des rues désertes. Les raskols7, surnom donné aux membres de gangs et autres criminels prennent les choses en main. Du vol à l’arraché, au trafic de drogue, en passant par les braquages et le viol, ces jeunes, majoritairement, règnent dans les bidonvilles de 4 Mile, ou 8 Mile situés autour de la capitale. L’importance de ces quartiers ne cesse d’augmenter dû à la migration des populations des milieux ruraux vers les centres urbains du pays.

Décidément, on est bien loin des paysages cartes postales décrits plus tôt. Bien que réels et visibles, ces problèmes sociaux mentionnés dans la presse internationale n’altèrent pas encore les innombrables cultures, villages, paysages et autres merveilles que les papous ont à offrir. Direction le coeur de la Papouasie Nouvelle Guinée cette fois-ci.

800 langages différents, et un peu de culture

Avec près de 7,7 millions d’habitants en 2015, la Papouasie Nouvelle Guinée est composée de quatre différentes régions subdivisées en Provinces. L’île de Nouvelle Guinée est recouverte à 65% de forêts tropicales tombant abruptement dans des eaux pures sur les côtes, ou s’effaçant pour une végétation alpine dans la froide région des Highlands, où culmine à 4 509 mètres, Mont Wilhelm, le toit du Pacifique.
Ce sont dans ces régions mystérieuses, éloignées des villes que vous rencontrerez de nombreuses différentes tribus papous néo guinéennes vivant toujours dans des villages traditionnels, puisque seulement 13% de la population est urbaine.

Certes, des générateurs à pétrole ou des panneaux solaires sont apparus dans certains endroits, permettant ainsi d’avoir l’énergie pour une lampe ou bien, pour recharger son portable, mais la magie opère lorsque l’on nous emmène pour une découverte des environs.
Généralement situés près d’un cours d’eau, les villages sont composés de différents clans. Chacun construit sa maison lui même à partir des matériaux que la forêt tropicale à offrir. Chaque arbre et plante à son utilité : palmier noir pour le sol, feuilles de bananiers pour cuisiner, feuilles de papaye pour se soigner, ou encore poterie de cuisine en argile qui est vendue ou échangée à d’autres villages.

Alors que 97% du territoire appartient à des propriétaires traditionnels8, l’agriculture du pays est de type vivrière. Les hommes travaillent dans le jardin qui est aussi synonyme de reconnaissance sociale comme sur l’Île de Normanby dans la province de Milne Bay. Les hommes défrichent, brûlent, et ensuite organisent la récolte en séparant les arbres qui seront replanté pour la prochaine saison, des arbres dont les fruits et légumes seront consommés. Les femmes, souvent appelées “mothers” par tout le monde, s’approvisionnent dans les jardins selon les besoins, cuisinent, pêchent, se rendent aux marchés pour vendre des produits, acheter ce que la jungle ne peut fournir, élèvent les enfants, lavent le linge à la rivière, et ne s’arrêtent jamais.

En descendant sur des petits bateaux à moteur bondés le long de la rivière Sepik, au Nord-Est du pays, on rencontre des villages qui ont abandonné les coutumes et croyances de leurs ancêtres, tandis que d’autres, malgré leurs fois pour le christianisme, pratiquent toujours les cérémonies de passage à l’âge adulte. Prenant place dans les Haus Tambaran, la maison des esprits où les hommes se regroupent, les hommes couperont des morceaux de peau dans le dos du jeune à l’aide d’une lame afin qu’il se vide du sang de sa mère, pour que ne reste dans ses veines, que le sang paternel. Après un mois passé au sein de la maison des esprits pendant la cicatrisation, le jeune, désormais homme, aura le dos ressemblant à une peau de crocodile formée par les nombreuses cicatrices.

D’autres tribus, comme les Mudmen d’Asaro près de Goroka dans les terres, se recouvraient de boue et portaient des masques d’argile démesurés. Leurs ennemis effrayés pensant rencontrer des esprits s’enfuyaient renonçant à attaquer le village.

De nombreuses danses, sing-sing, avec des significations différentes sont toujours représentées lors d’évènements importants. Dans le village d’Esala’a dans la province de Milne Bay, par exemple, le représentant au Parlement, et aussi Ministre de l’aviation, Davis Steven Hon a célébré sa nouvelle Yam’s house 9avec des sing-sing, pendant que des femmes du village étaient venues cuisiner.

La Yam’s house, véritable symbole de la culture collective des papous néo guinéens, est un grenier commun afin de constituer un stock de légumes (yams). Chacun peut contribuer, et chacun peut se servir en cas de temps difficile. Ainsi, en organisant une soirée festive où les kundus résonnaient dans le village, le récent Ministre voulait faire savoir aux habitants d’Esala’a et des environs, qu’il possède désormais un grenier afin d’aider les moins chanceux.

Lors du Kundu10 and Kenu Festival à Alotau début novembre, le ton des organisateurs étaient résolument porté vers le développement du secteur touristique, afin de faire de Milne Bay un concurrent de Bali ou encore des îles Fidji. Le premier vol international direct, provenant de Brisbane a ainsi été inauguré, tandis que le gouvernement allouait une augmentation de 50 Millions de Kinas (15 Millions d’Euros) dans son budget pour le secteur.
Autre destination phare, le Kokoda Track, qui retrace pendant une marche de sept jours, les 96 kms sur lesquels l’armée australienne a combattu et repoussé l’Empire japonais pendant la Seconde Guerre Mondiale. Étant donné le prochain 75ème anniversaire, probablement que de nombreux nouveaux randonneurs viendront s’ajouter aux plusieurs milliers qui se ruent à travers jungle et montagnes chaque année, bien souvent par le biais de tours organisés.

Direction l’aventure

De Port Moresby à Alotau, en passant par Kokoda, en sautant dans les transports publics jugés si peu sûrs pour les touristes, bravant l’océan pour se rendre d’îles en îles sur des petits bateaux à moteurs, direction Mount Hagen et ses douze heures de route pour relier Madang après une escale sur le plus haut sommet du Pacifique.
Nous avons pris un des ferrys de nuit, dormant sur le sol parmi les locaux pour rallier Wewak et l’un des pics du voyage : route de nuit en PMV pendant cinq heures jusqu’à la rivière Sepik, embarquer sur un long canoë en bois équipé d’un moteur pour rejoindre les villages de Korogu, Palembei, et puis resté coincé trois jours à Kaminabit chez l’habitant car aucun bateau ne voyageait.
De retour à Wewak pour effectuer un nouveau trajet de cinq heures en 4×4 en direction d’Aitape, où nous attendait les dernières trois heures de bateau à moteur sur une mer agitée jusque Vanimo.

Sans aucun doute, la Papouasie Nouvelle Guinée est aujourd’hui, une terre d’aventures aux sensations de premiers explorateurs. Venez vite !

NOTES

1. La partie ouest de l’île de Nouvelle Guinée, qui était sous contrôle néerlandais auparavant, est aujourd’hui une province indonésienne.

2. CLERC, Jean-Pierre. Introuvable Papouasie Nouvelle Guinée, Le Monde Diplomatique. Décembre 1995, p.20.

3. United Nations. PNG National Human Development Report. 2014, PNUD.

5.ROUZET, Céline. ExxonMobil bouleverse la société papoue. Le Monde Diplomatique. Janvier 2013, p.16-17.

4. Les Échos Data. 2014.

6. ROUZET, Céline. Vers la Chine et le Japon. Le Monde Diplomatique. Janvier 2013, p.17.

7. DUPONT, Stephen. Raskols: The Gangs of Papua New Guinea.

8. ARMITAGE, Lynne.Customary land tenure in Papua New Guinea : Status and prospects. Queensland University of Technology, Brisbane, 2001.

9. Le yam, igname en français, est un légume-racine, proche de la patate douce. La yam’s house est donc le lieu où ils sont stockés.

10. Un kundu est un instrument à percussion ressemblant au plus connu djiembé.

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